Philippe Lavialle
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  Physiciens d'aujourd'hui, portraits
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PHYSICIENS D’AUJOURD’HUI :
PORTRAITS DOCUMENTAIRES.
 
« J’aime les mots qui précisent le contexte, le renforcent sans vouloir pour autant imposer un sens. Juste pour donner un peu plus d’informations afin de mieux regarder l’image. »
(Dorothea Lange)
 
 

Ce projet photographique est tout d’abord un projet personnel. Il a commencé d’exister au milieu des années 90 grâce à des portraits réalisés alors, avec des personnalités scientifiques comme Louis Leprince-Ringuet, Laurent Schwartz, puis ultérieurement avec des portraits d’artistes et de gens de métier. C’est en décembre 2004 que j’ai proposé de le poursuivre (en coproduction avec l’Ecole Polytechnique, qui ensuite s’est associée à la ville de Palaiseau), en projetant de réaliser une exposition de portraits de physiciens liés à l’Ecole Polytechnique, afin de commémorer les grandes découvertes d’Albert Einstein et d’illustrer, au cours de l’année 2005, l’Année Mondiale de la Physique à l’X. Cette exposition, en collaboration avec d’autres, doit être présentée à plusieurs reprises à l’Ecole Polytechnique durant l’année (Bal de l’X, Semaine de la Physique et grande exposition pour l’Année Mondiale de la Physique à la BCX : Bibliothèque de l’Ecole), mais elle doit aussi être présentée hors les murs (particulièrement à la Mairie de Palaiseau).

 
Commencées vers la mi-janvier 2005, les prises de vues des quelques quarante physiciens polytechniciens, chercheurs ou enseignants de l’Ecole furent achevées aux environs de la mi-mars 2005. Soit seulement deux mois à peine après les premiers contacts. Autant dire que je n’ai pas eu la possibilité d’être exhaustif, tant sur le plan du choix des personnalités portraiturées, que sur celui des laboratoires représentés… D’ailleurs, là n’était pas vraiment la question. Il m’a semblé plutôt intéressant de montrer la diversité des chercheurs, hommes et femmes, dans les différents domaines de la physique théorique, expérimentale, nucléaire, astrophysique, etc. Et en même temps, il m’a paru important de présenter un large panel montrant parallèlement des chercheurs expérimentés, voire reconnus internationalement, et de jeunes chercheurs ou des thésards, afin d’offrir globalement une vision, la plus proche possible de la physique et des physiciens d’aujourd’hui et sans doute de demain. 
 
Cet état de faits établi, il me faut aborder le fond du projet. Car la notion de portraits documentaires pourrait ne pas être claire ni évidente pour tous. Elle pourrait même sembler réductrice. Or, elle ne l’est pas.
 
A l’instar des photographes documentaires comme August Sander (réalisant ses portraits de « l’homme du vingtième siècle » sous l’Allemagne de Weimar), Dorothea Lange (traquant des portraits documentaires dans l’Amérique de la crise économique des années 30, pour la FSA (*)) Walker Evans (présentant également l’Amérique de la dépression), Atget (montrant le vieux Paris) ou d’autres, j’ai voulu enregistrer et donner à voir une sorte de « cliché » des physiciens de notre début de vingt et unième siècle à l’X. Une empreinte temporelle, un constat anthropologique ou sociologique qu’il sera certainement intéressant de revisiter dans quelques décennies, à la lumière de l’histoire des sciences mais aussi des sociétés et peut-être de l’histoire tout court.
A ce propos, Dorothea Lange déclare : « (…) Chaque photographie est réellement documentaire, et appartient à un lieu, à une date de l’histoire (…) ».Et elle ajoute : « La photographie documentaire enregistre la société de notre époque. Elle reflète le présent et travaille pour le futur. » En ce sens,  les images de cette exposition sont enregistrées avec des moyens qui assurent une conservation et une pérennité optimale. Cela permettra, pendant une durée raisonnable, de retrouver intacte ce patrimoine.
 

La Tradition Documentaire Photographique veut que l’on se mette à « entendre et voir, restituer et évoquer, transmettre, éveiller et enregistrer » (Robert Coles). Afin d’éviter toute manipulation visuelle, les images des physiciens ont été réalisées avec rigueur… Prises de front, cadrées de façon rectiligne et sans effet, les portraits ont été associés aux travaux, « manips » ou territoires habituels des chercheurs, afin d’afficher tous les éléments nécessaires à la compréhension de l’image finale. La neutralité efficace du « Style Documentaire » photographique (selon le terme de Walker Evans) exige le questionnement, l’écoute, et surtout l’effacement du photographe. Il s’agit d’apporter, au travers d’une série d’images photographiques, un témoignage qui portera le fruit de ses valeurs rétrospectives avec la distance temporelle (Olivier Lugon). En ce sens, le photographe scientifique peut, en de nombreuses circonstances, être considéré comme un photographe documentaire. Et malgré toutes ces restrictions apparentes, la photographie documentaire reste un style, et laisse donc la place à une démarche très personnelle.

 
Mais, l’aspect documentaire de cette exposition, ne se limite pas aux seules images des portraits de physiciens. J’ai, dès le début de ce projet, eu l’idée de réaliser un questionnaire. En effet, j’avais le souvenir de plusieurs livres photographiques parcourus avec intérêt, qu’accompagnait un questionnaire aux réponses passionnantes. Et j’avais par ailleurs à l’esprit, l’expérience d’une interview de Laurent Schwartz dans les années 90, lors d’un tournage réalisé à l’époque par l’Audiovisuel de l’Ecole. Laurent Schwartz y évoquait une foule d’expériences étonnantes qu’il avait faites, et exprimait des prises de positions pédagogiques, éthiques, politiques très importantes… Cela me donna donc envie d’esquisser un questionnaire, afin d’essayer de communiquer à ceux qui viendraient voir cette exposition, la passion des chercheurs. Passion qui d’ailleurs le plus souvent, ne se limitait pas à leur seul métier de scientifique…

Claude Weisbuch (qui m’a procuré très gentiment le livre : « Hommes de Science » de Marian Schmidt) et Isabelle de Ligniville (par ses conseils et son travail de synthèse et d’organisation), se sont associés directement à sa réalisation. Le questionnaire a été ensuite envoyé par couriels aux différents chercheurs qui se sont prêtés très cordialement à cette expérience. Leurs réponses ont été synthétisées sur une page avec l’aide et  la participation de l’ensemble du personnel de la Direction de la Communication, de Claudine Hermann, et de Claudine Billoux et Marie-Christine Thooris pour la partie patrimoine. Ces réponses synthétisées constituent, en définitive, un fascicule regroupant les quarante portraits choisis pour l’exposition des « Physiciens d’Hier et d’Aujourd’hui ».

 

Ce document est donc un élément accompagnateur fondamental pour percevoir l’esprit de la recherche scientifique contemporaine en France, et plus particulièrement, à l’Ecole Polytechnique. C’est aussi un outil pour aborder la complexité des réflexions et des questions que se sont souvent posées ces chercheurs au cours de leur carrière, pour mener à bien leurs longues et parfois laborieuses - mais toujours passionnantes - investigations. C’est un fond d’informations où chacun fait part des richesses de son expérience, aidant ainsi à « mieux regarder l’image. »

 

En m’attelant à cette tâche difficile, j’ai souhaité donner de L’Ecole Polytechnique – dans le cadre réservé de cette exposition participant à l’Année Mondiale de la Physique – une vision internationale et scientifique. Et c’est dans ce sens qu’il me semble intéressant de continuer à faire la promotion de l’exposition : « Physiciens d’Hier et d’Aujourd’hui à l’Ecole Polytechnique ». Souhaitons qu’elle prenne le chemin d’un exil salutaire (grâce aux chercheurs, enseignants et élèves étrangers particulièrement), afin de promouvoir à l’étranger, pendant cette année particulière, une image réaliste, dynamique et stimulante de la recherche et de l’enseignement scientifique à l’X.

 
                                                                                              Philippe Lavialle.
 
(*) : FSA : Farm Security Administration à laquelle Dorothea Lange collaborera durant toutes les années de la grande crise américaine, en même temps que Walker Evans, Russel Lee, Ben Shahn et d’autres photographes, sociologues et anthropologues, tel son époux Paul Taylor.